- VANDALES (ARCHÉOLOGIE ET ART DES)
- VANDALES (ARCHÉOLOGIE ET ART DES)On s’étonnera peut-être qu’un article soit consacré à l’art «vandale», alors même que cet adjectif et le substantif – vandalisme – sont toujours synonymes de destruction aveugle et de «non-culture». Assez récente (Voltaire en 1732 pour vandale au sens figuré, la Révolution pour vandalisme), cette assimilation consacrée est aujourd’hui considérée par les historiens comme injustifiée sinon injuste, les méfaits guerriers des Vandales n’ayant été ni pires ni moindres que ceux des autres peuples barbares qui précipitèrent au Ve siècle après J.-C. la chute de l’Empire romain.La «longue marche» des Vandales (du début de notre ère à 429)La «longue marche» qui conduisit les Vandales des confins de la Baltique à la Tunisie au cours des cinq premiers siècles de notre ère apparaît comme une véritable odyssée. Originaires de Scandinavie, «matrice des peuples» germaniques comme l’écrivait l’historien Jordanès au VIe siècle après J.-C., les Vandales se fixèrent vers le début de notre ère sur les côtes méridionales de la Baltique, en Poméranie et en Poznanie. C’est alors que le nom de Vandale qui, selon Pline, s’appliquait aussi à d’autres peuples barbares, tels les Burgondes, ne qualifia plus que les peuples venus de Scandinavie. Ceux-ci se scindèrent à cette époque en deux groupes, les Hasdings (dont le nom, selon L. Musset, ne désigna que la famille royale), et les Silings dont les cheminements furent tour à tour distincts et communs.Les Hasdings s’établirent tout d’abord entre les cours supérieurs de la Vistule et du Dniestr puis, comme les Goths, ils se dirigèrent vers la Dacie romaine (Roumanie actuelle) à la fin du IIe siècle, sans parvenir à s’y installer. Ils descendirent ensuite vers le sud, remontant la vallée du Danube et s’établissant au milieu du IIIe siècle en Pannonie (Hongrie actuelle). De leur côté, les Silings séjournèrent durablement en Silésie (à laquelle ils donnèrent leur nom), avant de se fixer dans le bassin du Main supérieur à la fin du IIIe siècle.L’arrivée des Huns en Occident chassa les Hasdings de Pannonie et provoqua dans les premières années du Ve siècle leur jonction avec les Silings en compagnie desquels ils se dirigèrent vers le Rhin moyen. Ils y rencontrèrent d’autres Germains, les Suèves, et des nomades d’origine iranienne, les Alains, qui avaient également fui les Huns. Arrêtés par la frontière naturelle que constituait le fleuve ainsi que par la ligne fortifiée que les Romains avaient déployée sur sa rive gauche, ces peuples barbares (peut-être 250 000 âmes dont un quart ou un tiers de guerriers) parvinrent néanmoins à pénétrer dans l’Empire au cours des derniers jours de 406, alors que le Rhin était exceptionnellement gelé.Les troupes romaines des frontières, constituées en grande partie par des auxiliaires germaniques, furent incapables d’intercepter l’invasion qui allait mettre à feu et à sang les provinces de Germanie et de Gaule pendant plusieurs années. Accompagnés des Suèves et d’une grande partie des Alains, les Vandales franchirent les Pyrénées à l’automne de 409, à la fois pour éviter le contact avec les armées de campagne romaines qui s’étaient ressaisies et pour trouver de nouveaux territoires à piller.À cette nouvelle étape de leur histoire, les Silings et les Hasdings se séparèrent à nouveau. Les premiers se fixèrent dans la riche province de Bétique dans les années 411-412, mais écrasés, ainsi que les Alains, en 418 par les Wisigoths, à la solde de Rome, leurs survivants rejoignirent les Hasdings. Ceux-ci s’étaient établis en Galice, région qu’ils ne tardèrent pas à quitter en 419-420 en raison de son caractère inhospitalier et de leurs rapports difficiles avec leurs voisins Suèves. Accompagnés des survivants Silings et Alains, ils s’installèrent en Bétique et commencèrent à s’illustrer par leurs actes de piraterie en Méditerranée occidentale, dirigés notamment vers les Baléares et la Maurétanie. Ils furent alors communément appelés Vandales. Son peuple ayant sans doute épuisé les richesses de la péninsule Ibérique, le roi Genséric décida de le conduire en Afrique, seule province de l’Empire romain d’Occident à avoir été épargnée jusqu’ici par les Barbares. C’est ainsi que les Vandales et les Alains, au nombre de 80 000 environ, embarquèrent à Tarifa en mai 429, prenant pied en Afrique non loin de Tanger.L’éphémère royaume africain (429-534)Les troupes romaines furent incapables d’arrêter l’invasion et les Barbares purent atteindre Bône en mai ou en juin 430. À l’issue d’un long siège qui vit la mort de saint Augustin, la ville tomba en 431. Les Romains s’efforcèrent alors de composer avec les Vandales, concluant avec eux en 435 un foedus (traité) qui régularisait en quelque sorte leur installation dans une grande partie de l’Algérie orientale et de la Tunisie actuelles. Comme l’avaient fait en Gaule les Wisigoths ou devaient le faire les Burgondes, Genséric viola bien vite le foedus , s’emparant de Carthage le 19 octobre 439 et occupant la majeure partie de l’Afrique romaine. Les Vandales ne se contentèrent pas de ces succès et ils s’efforçèrent de poursuivre leur expansion par voie maritime. En 440, ils débarquèrent en Sicile, menaçant l’Italie, et l’empereur Valentinien III dut composer avec eux, leur accordant en 442 un nouveau foedus qui accroissait leurs possessions en Afrique. Ce fut ensuite l’occupation de la Corse et de la Sardaigne vers 455, puis le sac de Rome en 455 et enfin la conquête de la Sicile en 468.Si la mort de Genséric, en 477, mit fin aux visées expansionnistes des Vandales en Italie, leur flotte n’en demeura pas moins maîtresse de la Méditerranée occidentale pour de nombreuses années. Quant à leur royaume africain, son ampleur demeura toute relative. En effet, les Vandales n’occupèrent pas tous les territoires que Rome leur avaient concédés, mais seulement l’est de l’Algérie et la Tunisie, abandonnant le reste de l’Afrique romaine à sa population indigène, notamment berbère. Il en fut de même dans les provinces d’Afrique qui étaient demeurées romaines, mais où la présence de garnisons n’est plus attestée à partir du milieu du Ve siècle.Les textes, plus que l’archéologie, nous permettent de savoir ce que fut alors le royaume vandale et de comprendre pourquoi il fut éphémère. À la différence d’autres Barbares, tels les Francs, les Vandales ne pratiquèrent pas une politique d’assimilation avec la population africano-romaine. Relativement peu nombreux, ils ne cherchèrent pas à s’intégrer, bien qu’ils aient adopté la langue et le mode de vie de cette province romaine. Les uns se fixèrent dans les villes dont le patrimoine monumental, malgré les pillages de la conquête, avait été relativement préservé; les autres s’établirent dans des domaines ruraux spoliés où la main-d’œuvre demeura indigène. Les élites romaines ne furent pas associées, sinon pour des tâches subalternes, à une administration qui demeura élémentaire et qui chercha avant tout à imposer à la population indigène une très lourde fiscalité foncière. Ce clivage avec la majorité romaine et chrétienne fut encore accru par le fait que la minorité vandale était arienne, sans doute depuis son séjour en Espagne. Une armée omniprésente et brutale fut enfin la garantie du pouvoir royal et d’un ordre qui ne pouvait qu’être précaire.La rapidité de la reconquête byzantine le prouva. Ayant débarqué à la fin d’août 533, le célèbre général Bélisaire était maître de Carthage deux semaines plus tard. L’Afrique vandale s’effondra en quelques mois et le dernier roi vandale, Gélimer, après s’être rendu en 534, fut déporté en Asie ainsi que la majeure partie de son peuple. Il en fut de même en 539-540 pour ceux qui étaient parvenus à se réfugier chez les Maures. L’Afrique redevenait romaine, mais le bilan était lourd puisque la province était épuisée par un siècle d’exploitation vandale et que l’essentiel de ses élites avait fui. Devenue l’un des bastions byzantins de Méditerranée occidentale, l’Afrique du Nord ne recouvra pas sa splendeur passée, les populations indigènes de l’arrière-pays, insoumises, y instaurant un climat d’insécurité. Un siècle et demi plus tard, la conquête arabe mettait un terme définitif à la domination romaine en Afrique du Nord (prise de Carthage par le sultan Abd el-Malik en 698).Les témoignages archéologiquesLes témoins archéologiques concernant les Vandales apparaissent des plus ténus jusqu’à leur établissement dans la partie orientale du Maghreb, ce qui ne saurait étonner. Les peuples en mouvement laissent en effet peu de traces dans le sol du fait de la brièveté relative de leurs étapes. C’est ainsi qu’il est pratiquement utopique d’espérer jalonner par des trouvailles archéologiques les itinéraires suivis par des Vandales depuis la Scandinavie jusqu’en Gaule, leurs cheminements, en partie connus par l’exploitation des sources écrites, demeurant le plus souvent hypothétiques.En revanche, des possibilités d’investigations archéologiques existent, du moins en théorie, dans les régions où nous savons par les textes que les Vandales séjournèrent de façon durable. Encore faut-il qu’ils aient possédé une «culture matérielle» spécifique, bien distincte de celle des peuples germaniques voisins. On a ainsi voulu recourir à l’archéologie pour justifier l’hypothèse, tirée des textes et de la toponymie, de la migration des Vandales depuis le Jutland septentrional (dont ils auraient été originaires, et auquel ils ont laissé le nom de Vendsyssel) jusqu’en Silésie, en se fondant en particulier sur les analogies offertes par les céramiques ornées provenant de ces deux régions. On a en fait établi par la suite que ces types de vases n’étaient pas circonscrits à ces seules régions, mais se rencontraient également dans le sud de la péninsule scandinave, d’une part, et le nord de l’Allemagne, d’autre part. On en a donc conclu que ces objets n’avaient pu être l’exclusivité des Vandales, ceux-ci les ayant partagé avec d’autres groupes germaniques voisins à la migration identique! Une telle communauté culturelle, dont la céramique ne représente que l’un des aspects, subsista lors des étapes ultérieures de la migration vandale, la vallée du Main supérieur pour les Silings et la Pannonie pour les Hasdings, où pourtant leur séjour dura plus d’un siècle et demi. Néanmoins, la coïncidence géographique de certains caractères archéologiques (types d’habitat, coutumes funéraires, objets divers) avec ces territoires peut parfois plaider en faveur de leur attribution aux Vandales.On a eu recours à une argumentation identique pour tenter de mettre en évidence quelques rares mais précieux témoins du bref séjour des Vandales en Espagne (G. Koenig, 1981). C’est en effet dans le nord-ouest et le sud de la péninsule Ibérique, où ils s’établirent, qu’ont été mises au jour des pièces d’orfèvrerie étroitement apparentées aux trouvailles de haute époque imputables aux Germains orientaux d’Europe centrale: épée à garde cloisonnée (Beja, Portugal), boucles en or (Bueu, Malaga), plaques-boucles cloisonnées (Beja, Castiltierra, Galice). L’attribution de ces objets aux Vandales (ou aux Alains qui les avaient alors rejoints) ne fait cependant pas l’unanimité des chercheurs, ces trouvailles pouvant également être mises en rapport avec l’adoption par certaines élites barbares établies dans l’Empire (à titre individuel ou comme «fédérés») des prestigieuses modes issues des régions «danubiennes» qui caractérisaient alors en Europe centrale les Huns et les Germains orientaux qui leurs étaient alliés ou soumis. Ce phénomène, parfaitement établi en ce qui concerne les provinces limitrophes du Rhin et du Danube, aurait pu également jouer dans la péninsule Ibérique, la tombe de guerrier de Beja en étant une parfaite illustration (M. Kazanski, 1988).Qu’en fut-il dans l’ancienne Afrique romaine, ultime séjour des Vandales où ils disposèrent pour la première fois d’un véritable État qui subsista un peu plus d’un siècle? Très bon connaisseur de l’orfèvrerie de l’époque des Grandes Invasions, le baron Joseph de Baye identifia dès 1887 comme vandales divers bijoux découverts dans la régions de Bône: totalement étrangers à l’Afrique romaine de la fin de l’Antiquité, ils offraient en revanche de fortes analogies typologiques (plaques-boucles) et stylistiques (cloisonné) avec les trouvailles «barbares» d’Europe et notamment celles du début de l’époque mérovingienne en Gaule. D’autres découvertes eurent lieu par la suite, mais elles n’intéressèrent guère les chercheurs – antiquisants pour la plupart – qui, bien souvent d’ailleurs, ne les identifièrent pas toujours. Il faudra attendre C. Courtois, auteur d’un remarquable ouvrage sur Les Vandales et l’Afrique (1955), pour disposer enfin d’un bon inventaire des trouvailles archéologiques se rapportant aux Vandales: monnaies à l’effigie de leurs rois, épitaphes avec noms à consonance germanique, mais aussi accessoires vestimentaires et bijoux. Pour C. Courtois, l’attribution des bijoux aux Vandales ne faisait aucun doute puisque la quasi-totalité d’entre eux avaient été découverts à l’est du méridien de Constantine où se répartissaient précisément les épitaphes et les monnaies d’origine vandale indiscutable. Cette remarquable répartition géographique des trouvailles archéologiques conduisit d’ailleurs C. Courtois à conclure que l’emprise effective de l’État vandale avait dû se limiter aux seules provinces orientales de l’Afrique romaine, l’archéologie corroborant ici l’apport des textes.En 1981, enfin, un archéologue allemand, G. Koenig, s’est à son tour intéressé aux témoins archéologiques de la présence vandale en Afrique du Nord et, plus précisément, aux accessoires vestimentaires et aux bijoux qui constituent l’essentiel des trouvailles mobilières. Issus d’une quinzaine de sites d’Algérie orientale et de Tunisie, une cinquantaine d’objets ont pu être ainsi recensés. Reprenant et développant les arguments de ses prédécesseurs, à la lumière des acquis les plus récents de l’archéologie des Grandes Invasions, G. Koenig est parvenu à attribuer de façon convaincante aux Vandales la plupart de ces objets. Leur filiation typologique n’est tout d’abord pas douteuse, comme en témoignent des fibules ansées asymétriques ou en arbalète et des plaques-boucles de métal cloisonné dont les meilleurs parallèles se rencontrent au Ve siècle chez les Germains orientaux d’Europe centrale (soumis ou non aux Huns jusqu’au milieu du Ve s.). Contemporaines de l’époque du royaume vandale, les trouvailles africaines n’ont cependant pas été importées des régions danubiennes comme le prouvent un certain nombre de variantes de style ou de forme. Il faut donc admettre qu’elles ont dû résulter d’une évolution interne de types que les Vandales eurent en commun avec les autres Germains orientaux lors de leur séjour en Europe centrale.L’interprétation ethnique de ces objets est encore confirmée par la présence de paires de fibules ansées asymétriques, parures féminines dont l’origine germanique orientale et plus précisément gothique est parfaitement établie. Un dernier argument et non des moindres est enfin avancé par G. Koenig. Il s’agit de la découverte de quelques-uns de ces objets dans des tombes implantées à l’intérieur d’églises suburbaines, comme à Annaba/Bône (Hippo Regius ), Haïdra (Ammaedra ), Henchir Kasbat (Thuburbo Maius ), Sbeitla (Sufetula ) ou encore Tebessa (Theveste ). Si l’établissement de sépultures dans les églises fut une pratique courante dans le monde romain à l’époque paléochrétienne, tel ne fut pas le cas de l’inhumation habillée, accompagnée d’objets mobiliers. Réintroduite dans maintes régions de l’Empire d’Occident à l’occasion des Grandes Invasions, cette coutume demeura peu fréquente en milieu urbain et caractérisa le plus souvent les élites des nouveaux royaumes «barbares». Il en fut sans doute ainsi en Afrique où l’attribution de certaines de ces trouvailles funéraires aux Vandales est encore confirmée par leur mise en relation, à vrai dire exceptionnelle, avec des épitaphes comportant des anthroponymes germaniques (par exemple ARIFRIDOS à Henchir Kasbat; VALILV à Annaba). On dispose donc d’un faisceau de preuves suffisamment convaincantes pour considérer comme vandales un certain nombre d’objets mobiliers du Ve et du début du VIe siècle découverts en Afrique du Nord. Une telle interprétation ethnique doit cependant être nuancée. Si certains objets cloisonnés, comme des plaques-boucles à plaque rectangulaire ou ovale et des fibules asymétriques à pied en forme de spatule et tête demi-circulaire, ont une connotation ethnique directe, du fait de leur origine germanique, tel n’est pas le cas pour d’autres bijoux – épingles de chevelure, boucles d’oreilles, colliers, bracelets, bagues – dont l’origine méditerranéenne est évidente. Le port de ces derniers par les Vandales témoigne seulement ici de leur relative acculturation, limitée pour l’essentiel à l’adoption du mode de vie luxueux et des vêtements (mosaïque de Tebessa représentant un enfant vandale) qui avaient été ceux des riches Africano-Romains. Les lieux de trouvaille de ces objets précieux, coïncidant pour la plupart avec les villes antiques, confirment d’ailleurs le goût qu’eurent les élites vandales pour la vie urbaine. Les sources historiques et archéologiques concordent en la matière et attestent, en effet, que les Vandales, s’ils les pillèrent, ne détruisirent pas les villes lors de la conquête: n’ayant entrepris que très épisodiquement de grands travaux (port de Carthage), ils n’en contribuèrent pas moins à leur entretien (aqueduc de Carthage, églises catholiques requisitionnées pour le culte arien).En dehors de ces bijoux et accessoires vestimentaires, les quelques sépultures imputables à des Vandales n’ont livré que rarement d’autres types d’objets. Une tombe de Tatilti renfermait ainsi une lance, ce qui rend son interprétation ethnique délicate. En effet, si la coutume du dépôt d’armes dans les sépultures fut courante chez les Germains occidentaux (Francs, Alamans, Lombards), elle demeura exceptionnelle chez les Germains orientaux (Burgondes, Goths). On est donc en droit de se demander, compte tenu de la parenté culturelle entre les Vandales et les Germains orientaux, si cette tombe de Tatilti fut bien celle d’un Vandale. Trois autres sépultures renfermaient des vases de terre ou de verre. Si, dans le contexte africano-romain, cette coutume peut être considérée comme «étrangère» et mise au compte d’éléments germaniques, il ne saurait en être de même pour la vaisselle elle-même, d’origine indigène. On y verra une nouvelle preuve de l’acculturation rapide de la minorité vandale en ce qui concerne les aspects matériels de la vie quotidienne.Pour d’autres productions, l’archéologie plaide cependant en faveur d’un artisanat vandale ou stimulé par les Vandales (les modalités de cette production demeurant inconnues). La découverte à Guelma (Algérie) d’un demi-moule en pierre dure destiné au moulage de modèles en cire pour la fonte en série de boucles de ceinture est particulièrement intéressante. En effet, compte tenu du type de boucle (ovale, avec ardillon à base scutiforme), que l’on peut dater du VIe siècle, il n’est pas douteux que ce moule ait été importé de Gaule mérovingienne. Rien ne permet cependant d’affirmer que seuls les Vandales aient porté de tels objets, l’archéologie funéraire étant totalement muette à leur sujet, puisqu’ils étaient inhumés sans mobilier suivant la tradition romaine. La découverte à Carthage d’un important lot d’almandines, enfoui à l’époque vandale, est tout aussi riche d’enseignement. Elle montre tout d’abord que Carthage fut alors l’une des étapes du commerce de ces pierres si prisées par les royaumes barbares d’Occident où fleurissait l’orfèvrerie cloisonnée. Il est ainsi probable que ces almandines d’origine indienne parvenaient en Méditerranée par Alexandrie et étaient acheminées par Carthage jusqu’à Marseille (une autre route, terrestre, conduisait en Europe par la Perse et l’Arménie). Le fait que les almandines mises au jour à Carthage n’étaient pas brutes mais taillées et que la forme d’un certain nombre d’entre elles (quadrilobes, cœurs, reins) était identique à celle des cloisons de bijoux découverts localement atteste en outre l’existence d’une orfèvrerie cloisonnée africano-vandale. Celle-ci est notamment illustrée par les fibules discoïdes découvertes aux environs de Bône dont, par ailleurs, on ne saurait confondre le décor avec celui de leurs homologues de Gaule mérovingienne ou de Pannonie lombarde. Ces observations, s’ajoutant à d’autres fournies par les textes, confirment les conclusions de C. Courtois selon lequel l’Afrique conserva presque intacte à l’époque vandale la prospérité dont elle avait bénéficié au Bas-Empire.Le bilan de nos connaissances archéologiques sur les Vandales semblera sans doute bien succinct si on le compare à la riche documentation dont nous disposons pour les Germains occidentaux, en particulier les Anglo-Saxons, les Alamans, les Francs ou les Lombards. Il apparaîtra cependant relatif si on le confronte avec ce que nous savons à la même époque d’autres Germains orientaux. C’est ainsi qu’en Gaule les témoins archéologiques font pratiquement défaut pour les Wisigoths en Aquitaine (de 412 à 507) et pour les Burgondes de Bourgogne et de Suisse romande (de 443 à 534), ce qu’on explique par l’acculturation rapide de ces minorités germaniques qui avaient pris le pouvoir. À peine plus nombreux que les Vandales (peut-être de 100 000 à 120 000 âmes), les Ostrogoths d’Italie (de 488 à 555) ne nous sont connus, d’un strict point de vue archéologique, que par une cinquantaine de riches tombes féminines provenant d’une trentaine de sites, les tombes du restant de la population nous échappant totalement. C’est l’inverse en Espagne wisigothique (507-711) où les fouilles n’ont revélé jusqu’ici que les modestes sépultures de la population rurale! Il semble donc que les témoins archéologiques des Vandales soient en définitive comparables à ceux des autres Germains orientaux établis en Occident. Souvent installés dans les villes, la plupart d’entre eux se confondirent bien vite avec leurs sujets romains sur le plan de la culture matérielle et funéraire. En ce qui concerne l’Afrique vandale, il est cependant probable que le bilan archéologique est sous-estimé dans la mesure où les fouilles de nécropoles suburbaines ont été limitées pour la plupart à l’intérieur des églises; quant aux nécropoles rurales correspondant aux grands domaines, elles font défaut. Les quelques bijoux et accessoires vestimentaires recueillis jusqu’ici témoignent néanmoins de façon éloquente que les Vandales, comme leurs cousins germaniques d’Europe, participèrent à cet extraordinaire essor de l’orfèvrerie «colorée» qui accompagna les Grandes Invasions et les débuts des royaumes «barbares».
Encyclopédie Universelle. 2012.